Extraits musicaux en pages 2,6,7,9
intégrale Gershwin piano enregistrement 1988 par Thierry LAFOSSE
Samedi 9 mai 2020
Nous échangeons avec Thierry nos banques de sons et nos improvisations depuis nos maisons respectives. Nouvelles technologies dédiées, mais aussi une réflexion sur l'improvisation. Le mot de Thierry:
Bonjour Isabelle!
ravi de pouvoir échanger avec toi de si loin en temps réel. Confort et privilège de ces nouvelles consoles"connectées".
Au début des années 80, je fus dans les premiers à me lancer dans la grande aventure de la M.A.O., la musique assistée par ordinateur. Nouvelle liberté pour le compositeur, éditions de séquences, de partitions avec les premiers ordinateurs Mac et Atari Mega (ces derniers équipés de série le la fameuse prise midi, nécessaire au dialogue entre les claviers et le logiciel dédié), Yamaha CX5M, et CMI Fairlight, puis au direct-to-disk avec la numérisation de l'audio. J'ai fait aussi partie des premiers à utiliser Hauptwerk et Grand Orgue et à le faire connaître en France. En ayant à l'esprit qu'un organiste doit absolument garder le contact avec la tribune régulièrement, avec les vraies mécaniques de l'instrument, avec la réverbération naturelle, et avec le souffle dans ses tuyaux.
L'orgue est l'instrument de l'improvisateur, de par sa grande polyphonie, richesse de registres, et troisième clef "au pied". Deux axes principaux pour construire nos improvisations: la registration et la trame harmonique, très liées évidemment à l'instrument sur lequel tu joues, d'où évidemment l'intérêt de nos nouvelles consoles. Nous pouvons désormais faire résonner sans nous déplacer les jeux de tel ou tel instrument, choisi dans monde entier, avec l'intégralité de ses tuyaux et des paramètres de réverbération de la nef dans laquelle il a été construit. Je ne reviens pas sur les détails de vitesse de processeur et de grande qualité et de nombre d'enceintes nécessaires à la lecture et restitution parfaite des échantillons. Tu l'as très bien expliqué sur ta page:
Tu ne pourrais jamais rivaliser avec les 115 jeux du Cavaillé de Notre Dame sur le Merklin 48 jeux dont tu es co-titulaire à Paris, et tu construis sur ta tribune une structure d'improvisation évidemment adaptée aux jeux de ton instrument, à ses sommiers et à ses capacités d'accouplement. Je citerai encore le petit Gonzalez de l'école ou mon Stolz à tuyaux, qui tiennent évidemment un place folle, et n'ont pas la souplesse de l'échantillon, s'ils ont l'étain, le bois et le vent.
Je suis autant pianiste qu'organiste, et mes activités musicales ne m'ont jamais laissé le temps de me consacrer comme toi à une seule tribune, d'où mon statut d'itinérant, là où on a la gentillesse de m'inviter!
Ces paramètres intégrés, l'architecture d'une belle improvisation sur un orgue repose à mon sens d'une part sur un crecsendo/decrescendo adapté bien sûr à la richesse de son instrument, en partant des jeux de fonds, montre, et anches jusqu'au tonnerre du tutti, tous volets des boites d'expression ouverts. Et c'est en ce sens que jamais un invité ne pourra faire mieux résonner l'orgue que son titulaire, qui le connait parfaitement et fait corps avec lui. Nous nous rappelons tous deux avec émotion les conseils que nous prodiguait avec passion notre maître commun Georges Robert sur les 56 jeux de son Clicquot Merklin de N.D de Versailles...
D'autre part sur la trame harmonique utilisée. Et là, nous ne sommes plus que musiciens créateurs. Plus que les jeunes remplaçants, qui manquent forcément un peu d'expérience, la virtuosité n'est pas tout, je citerai Messiaen à la Trinité, puis Guillou, Cochereau, et son successeur Latry sur nos deux plus grands orgues en France, Saint Eustache et Notre-Dame. La structure est souvent la même, très efficace: elle repose sur une progression sur un mode choisi et défini transposé ou pas, ou bien sur la gamme "par tons" soutenue par un point, puis un staccato de pédale à l'octave. L'opposition des couleurs due à la progression par tons entiers, voire par tierces mineures est saisissante, surtout sur les pleins jeux. Cochereau et Messiaen avaient ouvert la voie, mais Debussy bien avant eux! Mais comme je suis également musicien de jazz, je dirai aussi Coltrane et Hancock, les intervalles démesurés de "Giant Steps" et les accords de dominante quarte suspendue de "Maiden Voyage"...! Rajoutons la virtuosité d'un Latry sur sa console haut de gamme avec des montées foudroyantes au pied sur les jeux par les pistons, et le tour est joué! Et bien joué, ma foi!
© 2020 Thierry LAFOSSE