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De l'improvisation...


 

Depuis plus de quarante ans d’enseignement, j’ai toujours privilégié le rapport égal entre l’étude de l’harmonie d’une part, et la technique du clavier avec la spontanéité de lecture et de métrique d’autre part. La progression d’accords, et le rythme. Et ce, dès les premières années. L’une ne peut se passer de l’autre, à mon sens, à moins de vouloir transformer nos instrumentistes en brillants exécutants « singes savants ».
 

 Un musicien complet, c’est celui qui est non seulement capable de jouer tout le répertoire avec brio et sensibilité, mais encore de comprendre les structures de composition choisies par l’auteur de la pièce qu’il interprète. De là, pouvoir improviser sur le thème qu’il a choisi, le ré harmoniser, et bien sûr composer lui-même.
 

L’improvisation, c’est aussi savoir prendre des risques. C’est montrer et faire partager son moi profond, sa sensibilité, organisés et soutenus par sa maîtrise de la tonalité et du cycle des quintes, ou d’une modalité choisie. Qu’elle soit adaptée à un environnement de Jazz, et l’on mettra en ce cas l’accent sur le côté « percussion » de la corde frappée du piano, ou bien classique, et l’on privilégiera alors une structure plus serrée et souvent plus élaborée, avec des rajouts de voix, de claviers mais aussi de pédalier et surtout de registres, comme l’organiste, l’improvisateur parle à son auditeur en temps réel et n’a pas le droit à la correction.
 

C’est cet élan « ex abrupto » que seul l’improvisateur sait faire passer, afin de faire partager l’intensité de son émotion du moment présent à son auditoire.

Ma formation dès mes premiers cours dispensés par ma mère en 1963 jusqu’à la fin de mon cursus en 1989 à été essentiellement classique. Basée principalement sur l’attaque plus percussive de l’unique clavier de 88 notes du piano sur lequel on sait l’importance fondamentale du poids de la main et des doigts par la position du poignet, pour un son convaincant. Deux clés pour la partition. Polyphonie maximale et nécessaire pour tout musicien, voire tout instrumentiste !

Augmentation par quelques voix de cette polyphonie avec l’étude de l’orgue de 1976 à 1986. Ici sur ces tribunes, devant les consoles plus complexes cachées derrière leur montre de positif, devant le buffet du grand orgue, claviers supplémentaires et surtout pédalier à disposition. Une clé de fa en plus donc pour les lignes de basses. Étude conjointe de la registration avec manipulation des tirants, tirasses et pistons pour la sélection de la couleur des jeux et la subtilité de leurs accouplements. Une attaque évidemment très différente des claviers par rapport au piano, si l’on considère le legato absolu que réclame le passage de l’air dans l’étain, et non plus la frappe du marteau sur la corde.

De 1985 à 1989, j’ai fait inévitablement un passage par le jazz via le piano acoustique, mais aussi électro-acoustique et synthétiseurs pour la particularité des timbres, l'action sur les ondes et surtout le contrôle de la hauteur par la molette dédiée . Une formation en quartet... Cet accès à l’improvisation par la grille d’accords et à leurs libres renversements à été pour moi très enrichissante. Si je devais faire une comparaison avec l’univers plus classique de l’orgue que j’ai évidemment rejoint par la suite, je résumerais par deux mots : liberté et convivialité. Convivialité par l’aspect évidemment partage des énergies et du mental de quatre musiciens qui jouent ensemble, se laissent à tour de rôle « la parole » pendant la prise des improvisations, pour tous se rejoindre avec bonheur enfin sur la réexposition du thème principal de la grille. Liberté, pour la grille elle-même : progression tonale, mais le plus souvent modale, avec ses accords suggérés au-dessus l’unique portée du thème, qui laisse le choix au pianiste pour la couleur de ses renversements, substitutions et altérations.

Le processus est certainement plus intime sur l’orgue et souvent encore plus cérébral.  Parce qu’il y a plus de voix à organiser, une polyphonie plus grande. Et que nous sommes cette fois seul à diriger, sur des structures métriques plus classiques, donc aussi souvent plus exigeantes…

Je vais revenir à ce sujet sur les échanges que nous avons eu avec Isabelle de Horbs au au nouvel an 2018 à la tribune de Notre Dame de Paris, malheureusement aujourd'hui mutilée, lors du concert de Marco Lo Muscio. Il existe en plus pour l'organiste, à mon sens, un lien privilégié avec son instrument et sa nef. On l'a dit,  l'organiste est déjà de par la puissance et la diversité se don instrument directement conduit à l'improvisation plus que tout autre instrumentiste, car il est seul à la tête d'un véritable orchestre, et doit être tout à la fois exécutant en "différé", donc posséder parfaitement la technique des claviers, par son indispensable prime formation de pianiste, mais encore arrangeur et improvisateur en temps réel, donc maîtriser absolument l'art de la registration. 

Et nous touchons ici le point sensible: la technique de l'instrument et la connaissance approfondie des règles de l'harmonie sont une chose, l'inspiration et la communication souvent fugitive avec le Beau absolu constituent une autre condition à laquelle nous devrions tous aspirer. Et, en ce sens, la foi personnelle et la position de l'instrument dans l'acoustique de sa nef aident considérablement le musicien. C'était le cas des maîtres de l'école française, jusqu'à nos jours. Dupré, puis Messiaen, Falcinelli, Guillou, Litaize, Duruflé, Alain, Robert. Qu'en est-il aujourd'hui? Retrouve-t-on cette émotion chez ceux qui ont remplacé nos maîtres aux tribunes sans bénéficier de leur enseignement  et de leur ferveur en ligne directe?

La foi, un moteur puissant ?

Incontestablement. J’entends déjà d’ici les hordes de mécréants, mais existe-t-il vraiment des mécréants sinon de simples inquiets, crier au scandale. J’affirme avec force que la foi personnelle de
l’improvisateur l’aidera à atteindre les sommets de son art. Isabelle se rappellera comme moi notre maître commun Georges Robert, agenouillé à côté de son positif, priant avant chacune de ses
improvisations, ses yeux d’aveugle fixés sur le buffet du grand orgue, avant de rejoindre les claviers de son Merklin à Notre-Dame de Versailles. Combien de fois l’avons-nous surpris dans cette position
avant nos cours. La force de cette concentration permet évidemment d’accéder à des combinaisons beaucoup plus subtiles et des visions plus éclairées dont la fluidité peut échapper au technicien et à l’harmoniste le plus confirmé. D’où aussi la nécessité à mon sens de restituer ses élans de musicien créateur dans la nef consacrée plutôt que dans une salle de concert.


Après tout, l’orgue est l’instrument roi dédié à l’improvisation, et l’improvisation est aussi dédiée au
sacré.

Thierry LAFOSSE, Août 2023
 

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© 2019 Isabelle de Horbs, Nathalie Granier

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